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Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne. (Victor Hugo)
Toutes les pitiés, toutes les révoltes, toutes les angoisses et toutes les admirations ensemencées, depuis des mois dans les âmes, ont germé sous les larmes. Ce matin, en ce matin de Fête des Morts, elles se sont épanouies en une gerbe de prières qui, toute droite, est montée pour nous unir de l’indestructible lien d’âme à âme, à l’âme des héros. L’infini apaisement aux douleurs les plus farouches que cette communication jetée entre Ciel et Terre! Par elle, les mamans, les épouses, les fiancées sans tombe où ployer des genoux, peuvent néanmoins se rapprocher de l’aimé. Par elle, aussi, ceux que la mort a épargnés dans leur tendresse obtiennent le privilège de témoigner leur reconnaissance par cette fraternité chrétienne secourable aux vivants et aux morts. Qu’importe la distance qui éloigne des cimetières emplis, des champs anonymes où tombèrent et furent ensevelis des inconnus devenus soudain des frères, la prière sur les ailes de la Foi et de la Ferveur, monte, immense, irrésistible, vers le trône du Dieu de toute justice et de toute honte, pour obtenir la libération des âmes et l’allégement de la douleur de ceux qui pleurent.
Un peuple entier de meurtris pèlerinera aujourd’hui vers les tombeaux. À travers les cimetières blancs, des êtres, brisés dans leur plus légitime espoir d’une tendresse qui devait longtemps encore suivre le chemin de leur vie, marcheront sans voir les marbres qui marquent des douleurs semblables à la leur. Le deuil des chrysanthèmes, qui pleurent sous la pluie de leurs pétales chevelus, ne les pénétrera d’aucune émotion profane. Parmi le grand danger des allées et des tombes, ils cherchent, voilés du triple voile de crêpe, de douleur et de révolte, mal apaisée par l’ambiance, la tombe fraîche, parmi les multitudes de tombes fraîches creusées durant l’année. Vingt ans, vingt-trois ans, dix-neuf ans!... On dirait que dorment là des frères que la lassitude de la vie aurait pris invinciblement au même âge… Mais non, ce n’est pas le dégoût de la lutte qui a fauché cette longue lignée d’épis en fleur. Quelques mots revêtent le sens de l’énigme « Mort au champ d’honneur »… Et voici qu’un frémissement indéfinissable parcourt l’être prostré sur cette tombe. Les mains se joignent. Les lèvres s’agitent. Les larmes coulent, mais leur action corrosive ne trace plus des lignes brûlantes, dans le cœur, sur le visage. Il semble que la moisson sacrée montée aux couches éternelles attire l’âme à elle, lui défende de se courber vers la terre où sont les tombeaux pour lever le regard vers le Ciel où sont les âmes.
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Ce matin, après avoir songé chrétiennement aux morts, à nos morts, comme nous avons demandé avec ferveur le miracle de la puissante bonté de Dieu pour ceux qui pleurent. Pour les mères, pitié, mon Dieu! Pour les épouses, pour les tout-petits qui pleurent sans bien savoir, pitié, mon Dieu! Donnez-leur la consolation qui fait les âmes fortes et fières. Pour leur héroïque déchirement, nous vous demandons l’héroïque récompense. Que leurs morts bien-aimés, ils ne les sentent pas morts, mais vivants dans la reconnaissance éperdue de tous les peuples délivrés par leur sacrifice. Ce sont eux qui, maintenant, pour nous figureront l’image grandiose de la Patrie. C’est à eux que nous songerons, que nous songeons déjà, lorsque l’épreuve pointera à l’horizon de notre vie; ils sont, nos morts héroïques, la réserve d’énergie où les générations viendront puiser les grandes leçons d’enthousiasme et d’abnégation… Chers êtres douloureux, laissez-nous nous unir à vous pour lancer vers le Ciel, ce lien indestructible, la Prière. Et puisse, comme sous une rosée bienfaisante, se retremper votre courage, se redresser votre tête, ô martyrs, qui aurez fécondé la terre de notre France du plus pur de votre amour!
Ce jour des Morts 1915 – Noël